La France des années 50 est marquée par une croissance du niveau de vie des Français, cependant les boutiques sont à l’écart de cette expansion. En août 1954, la loi spéciale de finance contient l’amendement Dorey qui instaure le recours à l’incarcération en cas d’opposition à un contrôle fiscal. Ce texte met le feu aux poudres.
Comme sous l’Ancien Régime, lors des émotions populaires contre les collecteurs d’impôts, on rosse les polyvalents. Le vieux ciment anti-parlementariste renait. Le régime est considéré comme responsable des malheurs du petit commerce et favorise les gros. La fronde passe de l’anti fiscalisme à l’anti-parlementarisme, de l’anti-dirigisme au nationalisme (contre « l’armée des métèques qui campe sur notre sol »), enfin de l’anticapitalisme à l’antisémitisme. Pierre Mendès-France (le président du Conseil) représente alors « le capital financier apatride. » Pour reprendre l’expression de l’historien Jean-Pierre Rioux , c’est la révolte des « pères de familles en canadienne, béret basque et à gitane maïs ». C’est l’opposition entre la « province saine » et Paris qui « est un monstre », l’opposition entre l’intellectuel parasite, oisif et la France de producteurs .
La France va connaitre la fureur boutiquière. Ce type de révolte n’est pas nouveau. Les révoltes des contribuables contre le fisc ne datent pas de 1953 et le poujadisme s’inscrit dans une tradition déjà ancienne. (cf la Confédération générale des petits et moyens commerçants en 1934).
En octobre 1953, naissance du Comité départemental de défense. En novembre 1953, création, à Cahors , de l’UDCA (union de défense des commerçants et artisans), dont l’hymne « marche en avant » est composé par Montagnard (l’auteur de Maréchal nous voilà !)
En novembre 1954, les décrets contre l’alcool et les distributions de lait programmés par Pierre Mendès-France (PMF) donnent l’occasion à l’UDCA de tisser des liens avec le milieu viticole, les cafetiers et les consommateurs. C’est le combat entre le lait et le pinard, teinté d’antisémitisme. Pierre Poujade se veut le héraut des Gaulois contre les apatrides (PMF a bu du lait lors d’une réception ce qui fut dénoncé comme une véritable offense aux Français) « Faites donc votre valise et fichez le camp » déclara-t-il à l’encontre du président du Conseil. Dans un article de Fraternité française ( du 10 septembre 1955 ), P. Poujade écrit « aujourd’hui , je te dis, fous le camp toi et les tiens »
Pierre Poujade va habilement exploiter un sentiment de peur (une des caractéristique dominante du poujadisme) : peur du changement et de l’évolution de la société. Il lance « un appel au peuple » , la rédaction de « cahiers de doléances » et l’organisation d’Etats généraux
L’extrême droite, usée idéologiquement flaire la bonne affaire et l’opportunité d’élargir sa base sociale. François Duprat écrira sur le mouvement poujadiste : « la révolte des commerçants et artisans lui [l’opposition nationale] donne la possibilité de s’appuyer sur une classe sociale en voie de prolétarisation, bref des structures qui permettent la victoire du fascisme et du national-socialisme »
P. Poujade reprend la vieille thématique des ligues des années 30. Celles du « grand coup de balai » nécessaire et le slogan « Sortez les sortants ! » Son mouvement est soutenu en Algérie par le cafetier Joseph Ortiz et le docteur Lefèvre (futurs activistes de l’OAS). En métropole, c’est l’Union de défense de la jeunesse, présidée par Jean-Marie Le Pen (il sera remplacé par Jean-François Galvaire, futur dirigeant d’Ordre nouveau) qui le soutient.
Le 2 janvier 1956, Poujade (qui n’est pas candidat) fait entrer à l’ Assemblée nationale 52 députés sous l’étiquette Union et Fraternité française, parmi lesquels quelques figures de l’extrême droite (Jean-Maurice Demarquet, Jean Dides)
Le feu de paille sera de courte durée : un certain nombre de députés sont invalidés, le mouvement éclate sur la question algérienne et le retour du général De Gaulle (Poujade soutient les émeutiers des barricades d’Alger en 1960, mais en avril 1961, il se tient à l’écart du Putsch des généraux).
Pour reprendre l’expression de l’historien Joseph Algazy « sa naissance fut prodigieuse, sa chute prodigieusement brutale ». Cependant des thèmes vont perdurer (Gérard Nicoud et le Cidunati dans les années 70 ainsi qu’au FN )
Comme le boulangisme, le poujadisme prétendait opposer le peuple plein de bon sens et d’honnêteté à une classe politique corrompue et parasitaire.
J-P Gautier, Historien