Pour présenter son programme et son équipe, Zemmour pourrait, sans se sentir mal à l’aise, choisir une salle de classe de l’IFP, cet institut de formation politique de la « jeunesse conservatrice et patriote » qui aurait inspiré Marion Maréchal pour la création de sa propre école (l’ISSEP). Que trouvera-t-on dans la promotion Zemmour ?
Pour débuter, un aréopage d’énarques interviendra derrière le pupitre pour expliquer comment « renverser la table » quand on est déjà bien établi dans les classes dominantes. Le préfet en retraite Gilbert Payet sera secondé par son ancienne stagiaire, la fameuse conseillère de l’ombre, Sarah Knafo, fraîchement sortie de l’ENA. Elle ne manquera pas de faire un exposé sur son stage à l’ambassade de France en Libye au cours duquel elle a trouvé de bonnes idées pour faciliter les procédures d’expulsion. Jean-Paul Bolufer, issu des milieux cathos intransigeants de la Cité catholique et maire adjoint de Colombes où il est en charge de la sécurité, viendra quant à lui expliciter la théorie de la « subsidiarité » : l’État ne doit pas se substituer à la commune, ni celle-ci à l’entreprise, ni celle-ci à la famille, etc. Pour illustrer cette volonté de ne pas déléguer aux échelons supérieurs les attributions que les communes seraient capables d’assurer par elles-mêmes, il se basera à n’en pas douter sur son expérience personnelle, riche d’enseignements : comment sous-louer, pendant 10 ans, un appartement de 190 mètres carrés, dans le 5ième arrondissement parisien, obtenu auprès de la Régie immobilière de la ville de Paris, à un loyer quatre fois moindre que le marché, quand on est directeur adjoint du cabinet de Jacques Chirac, alors maire de Paris ? [1]
Véritable haltérophile de la pensée, Michel Onfray assurerait volontiers le cours sur le souverainisme. Cependant Paul-Marie Coûteaux, l’ami de 30 ans, sera préféré : d’abord il est énarque et en plus, il possède une maîtrise de souverainisme. Membre du CERES dans sa jeunesse, il quitte Chevènement pour Pasqua puis De Villiers et enfin Dupont-Aignan. Cette trajectoire toujours plus au fond à droite le rapproche petit-à-petit du FN, où il présenta Florian Philippot à Marine Le Pen. Pas sectaire, son cours précisera en quoi l’Action française est la « matrice intellectuelle de la droite française ». Pour que les auditeurs ne se perdent pas trop, il rappellera que, de toute façon, l’immigration est le « thème rassembleur [des droites] par excellence ». Pas la peine de se disperser.
Mais revenons à Michel. Spécialiste du Haut-Karabakh et du « choc des civilisations », Onfray pourrait se voir confier le cours de géopolitique. Il expliquera pourquoi « au lieu de bombarder Raqqa, la France devrait bombarder Molenbeek », en puisant ses références dans les chroniques de Zemmour sur RTL et dans ses discussions de salon avec celui grâce auquel « ce qui faisait le génie français est encore possible » (Onfray sur Zemmour dans Le Point en juin 2020).
Pour le cours de communication, Samuel Lafont (trentenaire issu de l’UNI, de l’UMP puis des LR, passé par le Printemps français, les radicaux de La Manif pour tous), viendra mettre à profit ses compétences de technico-commercial dont il a déjà fait profiter les Contribuables associés, une association qui ferraille contre le « matraquage fiscal ». Son média de « réinformation », Damoclès, vivote, mais il se rêve déjà en Steve Bannon d’Eric Zemmour, rien de moins. Au-delà de son employeur, le magnat des transports Bolloré, Zemmour sait qu’il peut compter sur une myriade de médias conservateurs, de L’Incorrect à Valeurs Actuelles, en passant par la catho-sphère, comme le Salon beige du royaliste légitimiste – mais néanmoins attaché parlementaire de Sébastien Meurant, sénateur LR plutôt favorable à Zemmour – Guillaume Jourdain de Thieulloy. Pour les travaux pratiques, un staff d’anciens communicants sarkozystes est déjà à la manœuvre. Les opérations d’influences sur les réseaux sociaux ont déjà commencé avec quelques figures connues : « Estelle RedPill » (120 000 suivis sur TIktok), « Papacito » (11 6000 abonnés sur youtube) ou « Thonia » (13 000 suivis sur instagram). La bataille idéologique sur internet est lancée. Onfray nous dira plus tard, si ce qui fait le génie français y est encore possible.
Les retours d’expérience de start-uppers et de banquiers, complétés par les bonnes idées de grands patrons ex-fillonnistes, feront office de cours d’économie. Pas d’inquiétudes, le volume horaire sera réduit, à l’instar d’un programme rachitique et connu d’avance : baisser les impôts, remettre en cause les 35 heures, augmenter l’âge de la retraite et taper sur les immigrés pour faire des économies. Comme Pierre Meurin, qui malgré ses 29 ans en compte déjà 3 au cabinet d’un maire LR et 3 en temps que directeur des études à l’ISSEP, chaque auditeur pourra faire son « bilan de compétences » pour vérifier ses « capacités à s’épanouir et être performant »… dans la campagne raciste et misogyne qui se prépare. Côté comptabilité, Charles Gave (le financier, réfugié à Londres, rescapé des chars russes sur Paris en 1981) a déjà sorti son chéquier. Jean-Paul Bolufer, le « chrétien social » qui milite aussi à Évangile et Société (une association créée par la CFTC et le Centre français du patronat chrétien) viendra éventuellement pour une seconde session poser un « regard chrétien » sur l’entreprise. Il fera la transition avec le cours de morale. Ce cours sera assuré par Jean-Frédéric Poisson, pour inspirer charité et humilité afin que l’auditoire « infléchisse nettement son projet dans le sens de l’entraide, de la solidarité, de l’attention donnée aux plus faibles ». Comme souvent, quand Jean-Frédéric parle, personne ne l’écoutera vraiment. Les vrais hommes qui fument des goldo en profiteront pour sortir, convaincus que le propos sur la morale consiste à détailler en quoi « l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant » et pourquoi « le pouvoir doit rester dans les mains des hommes, sinon, il s’évapore ». Amen.
And last but not least : le cours d’histoire consistera à trouver dans les grands exploits du passé, les secrets de la « synthèse entre la bourgeoisie nationale et le peuple », à travers les figures admirées de Napoléon, Pétain et De Gaulle. Il sera assuré par Eric Zemmour lui-même, que son auditoire considère déjà comme l’homme providentiel : l’un de ces « hommes de génie (…) météores destinées à brûler pour éclairer leur siècle » tel que le voient de jeunes dissidents de Debout La France citant Bonaparte (Valeurs Actuelles, octobre 2021). Olé.
Tambourinant à la porte, d’autres trépignent pour venir professer : exclus et démissionnaires du FN-RN espèrent bien revenir dans la course. Le moment de la revanche sur la ligne impulsée par Marine Le Pen a sonné. L’inconvénient, c’est qu’ils sont plusieurs et ne parlent pas d’une seule et même voix. Il faudrait se partager le micro, au moins entre Jacques Bompard, le notable de la Ligue du Sud et Roland Hélie, de Synthèse nationale, qui rejoue peut-être ses jeunes années au sein d’un Parti des Forces Nouvelles (PFN) connu pour ses multiples tentatives de rapprochement avec la droite « classique ». Il n’est pas sûr que ce micro leur soit tendu. D’autant qu’au fond de la classe, les amis de Hélie, la bande du Parti de la France de Thomas Joly, moins propres sur eux, détonnent quelque peu dans leur tenue bomber-rangers-crâne rasé … Qu’à cela ne tienne, pour le week-end d’intégration, ils se chargeront sans chichi du cochon grillé. C’est d’ailleurs à l’occasion de la « traditionnelle fête du cochon grillé », organisée par la fédération bretonne du PdF, qu’ils avaient avoué leur flamme (tricolore) pour Eric Zemmour. Pauvre bête.
Assise sagement dans l’assistance bien qu’excitée par le charisme de Zemmour : une tripotée de trentenaires, dont certains ont déjà fait leurs premières armes comme collaborateurs d’élus LR. Beaucoup ont milité à l’UNI et aux Jeunes pour la France de Philippe de Villiers. On compte aussi quelques Républicains plus âgés qui, bien que n’ayant jamais osé le rapprochement avec le FN, n’en sont pas moins virulents. Au premier rang, le président de Génération Z, jeune fayot tout droit sorti de l’ICES, l’Institut catholique de Vendée. Mais d’autres auditeurs se pressent dans la salle, petit à petit. Ce sont les récents démissionnaires du RN déçus par Marine Le Pen. Anciens cadres fédéraux, ils espèrent surtout être investis localement, au cas où la dynamique électorale se poursuivrait.
Jean-Yves le Gallou (ex mégrétiste du Club de l’horloge) s’enthousiasme dans le fond de la salle : « Pour une fois, les élections présidentielles promettent d’être passionnantes. Et c’est à droite que les grands enjeux se posent ! ». Il aimerait bien venir étaler sa science, comme il l’a fait cet été dans tout ce que les milieux identitaires et catho comptent d’universités d’été. Le Gallou a hâte que cet « intellectuel rompu aux débats » devienne « une force de propositions sur l’insécurité et l’immigration, mais aussi sur l’éducation, la souveraineté économique et le patrimoine ». Pourtant, ses amis identitaires qui se trouvent très bien au RN, derrière Marine Le Pen, le tirent par la manche. Entre une agitation outrancière autour de la remigration et la proposition calme d’un programme qui la mettrait vraiment en application, ils ont choisit Marine Le Pen. Ils ont quand même un plan de carrière à assurer. Certes, « on ratisse mieux à deux que tout seul ». Le réservoir de voix et l’aura médiatique d’un Zemmour pourraient être profitables à Marine Le Pen. Mais du côté du RN, on se chagrine du manque de reconnaissance : « c’est lui qui parle comme nous » rappelle Stéphane Ravier. « Le constat que fait Eric Zemmour, nous n’avons pas attendu pour le faire. Cela fait 40 ans que le Front National hier, le Rassemblement National aujourd’hui, fait ce constat » rajoute Julien Odoul, qui est au FN depuis 2014 après être passé par le PS puis l’UDI. Zemmour ferait mieux de « donner un coup de main » à la campagne de Marine Le Pen, suggère Sébastien Chenu. Attention ! et si la baudruche médiatique autour de Zemmour n’aboutissait qu’à « l’élimination pure et simple du camp national dès le second tour » ? (Xavier Eman dans Présent du 8 octobre 2021)
Dehors, derrière la fenêtre, toute la rédaction de Présent fronce les sourcils. Si certains se réjouissent de cette « mouche du coche universelle apte à taquiner Marine Le Pen sur son aile droite » (Etienne Defay dans Présent du 9 septembre), d’autres s’énervent : Zemmour, « soit il a désormais (dopé qu’il est par son fan-club) un ego surdimensionné (...) soit il joue délibérément, doctement, sciemment, contre la droite nationale » (Alain Sanders, 16 septembre 2021). Qu’il soit juif... passe encore – il veut réhabiliter Pétain. Mais gaulliste, c’en est trop ! D’ailleurs, ce n’est pas tellement « La France », que Zemmour viendrait sauver mais « plutôt la Ve république et ses institutions subclaquantes » avec « un petit coup de vernis patriote » (Xavier Eman, dans Eléments en septembre 2021).
A la sortie du cours, les jeunes troupes de l’Action française (AF) sont présentes. Elles n’ont pas eu besoin d’écouter les topos car elles ont déjà fort à faire dans leur cercle d’exégèse de Maurras. Ces jeunes militants viennent vendre la presse royaliste. Ils espèrent profiter de la dynamique autour de ce « troisième homme » dont « la France a besoin » comme ils ont bénéficié de La Manif pour tous. Voici une bonne occasion d’assurer une apparition remarquée lors du défilé pour la Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme, début mai, peu de temps après les élections.
De l’autre côté de la rue, Yvan Benedetti et les restes antisémites de l’Oeuvre française, s’étranglent de voir des nationalistes se ranger derrière Zemmour. Ils pestent avec le directeur de publication de Rivarol, quelques dissidents maurrassiens, un ou deux soraliens et un poignée de catho intégristes. Benedetti songe déjà à son prochain hommage à Sainte Jeanne. Avec ses maigres troupes, il va encore se faire ridiculiser par l’AF au pied de la statue. Depuis la Suisse, Alain Soral est résigné : « aujourd’hui, de fait, le camp national est incarné par Zemmour, on peut pas y couper, mais moi ce qui m’intéresse, c’est avoir un coup d’avance » (Soral répond du 7 octobre 2021). Il observe donc avec attention les ventes de l’Autre Zemmour de Youssef Hindi qu’il a préfacé en le publiant, et envisage un cycle de conférences-video, téléchargeable contre 150€, pour comprendre le « national-sionisme » et le « grand remplacement de l’extrême-droite ».
En attendant que ce camp ne passe par la « déception Zemmour, la déception ultime, pour aller vers le vrai renouveau nationaliste que je [Alain Soral] pense incarner bien plus sérieusement », la dynamique autour de Zemmour préfigure une recomposition de l’extrême-droite. Il pourrait en émerger un « bloc nationaliste », plus ou moins homogène. Sa vigueur conforterait y compris la nébuleuse des groupes informels de jeunes fachos violents. L’équipe de Zemmour pourrait donc, certes, occuper une salle de cours de l’Institut de Formation Politique. Mais comme Jean-Marie Le Pen l’avait dit en son temps, au sujet de l’entrisme du PFN au sein du Centre national des indépendant (CNIP) : on est plutôt en présence d’une « baignoire à fachos pour les mal lavés de l’extrême droite ».